Emplois de chantier : de la beauté du rêve au cynisme de la réalité

Quand un salarié occupe un emploi pendant 3 ans, peut-on considérer qu’il occupe 3 emplois ?

C’est pourtant cette méthode de calcul absurde qui a été utilisée par le cabinet Sémaphores dans l’étude commandée par Immochan, pour comptabiliser l’ensemble des emplois du chantier d’EuropaCity. En effet, page 9, il est évoqué « 4200 emplois mobilisés sur le chantier chaque année » pendant 3 ans, soit un total de 12600 emplois directs !! Page 10, les données mises à jour allongent la durée de chantier à 4 ans et demi, soit 18 820 emplois au total !

Même réduits à 4200 emplois durant 3 ans, les chiffres de la phase construction d’EuropaCity sont à l’évidence surestimés. Aujourd’hui, les deux plus grands chantiers de France (EPR de Flamanville et LGV Bordeaux-Tours qui ont des tailles et des niveaux de complexité sans commune mesure avec EuropaCity) mobilisent de 4000 à 4500 salariés.

Pourquoi des ratios basés sur les investissements ?

Mais dans l’étude Sémaphores, le calcul des emplois de chantiers directs pour la phase construction ne se base pas comme habituellement sur les m2 construits ni sur la surface du projet, mais sur des ratios d’emplois en fonction des investissements, issus de l’Enquête Annuelle des Entreprises (EAE INSEE), une source macro-économique effectuée à l’échelle nationale, datant de 2009. Prendre des références macro-économiques pour effectuer une estimation à une échelle locale est un choix très discutable, renforcé par l’ancienneté de la source (2009 pour une prévision 2017- 2020 ?) et la fiabilité de la méthode (quelle corrélation entre investissements et nombre d’emplois ?).

En Ile-de-France, le « Pentagone » de la place Balard (Paris 15ème) qui regroupe l’ensemble des activités du ministère de la Défense et vient d’être livré pour un investissement de même ordre qu’EuropaCity (coût 4,3 milliards d’€ – Source : BFM Business), pour une surface de 320 000 m² a occupé au maximum jusqu’à 2500 travailleurs en période de pointe. (Source : Blog de Bouygues Construction)

Ces différents exemples suggèrent plutôt pour le chantier d’EuropaCity un chiffre réduit de 30 à 50% (2000 – 3000 emplois ?) par rapport aux estimations du cabinet Sémaphores.

 La précarité des emplois de chantier

Autre point : les contrats sont généralement de quelques mois, car les corps de métiers ne travaillent pas simultanément, mais se succèdent : d’abord les terrassements, ensuite le gros-œuvre et la structure, après le clos et le couvert, puis les corps d’état techniques (électriciens, plombiers…) enfin vient le temps des finitions (soliers, serruriers…) Et bien sûr, les différents personnels ne sont pas interchangeables : un grutier ne va pas poser des moquettes ! A titre d’exemple, la construction du centre commercial Le Millénaire (50 000 m2, Aubervilliers) a enregistré une moyenne de 250 travailleurs sur le site, avec une pointe de 700 salariés.

Des emplois locaux ?

Mais la question principale reste : quelle proportion – sur le total des emplois – serait attribuée aux habitants du territoire ? Il faut savoir qu’il n’y a en France que 3 ténors du Bâtiment capables de conduire un chantier de l’ampleur d’EuropaCity : Bouygues, Eiffage ou Vinci. Ces grandes entreprises possèdent des salariés permanents qu’elles installent sur chaque chantier et recrutent du personnel complémentaire sur place. C’est pourquoi les métiers du Bâtiment listés dans l’étude Sémaphores (page 15) n’ont aucune signification pour la main-d’œuvre disponible du territoire. Seuls comptent les postes non pourvus par l’entreprise qui conduit le chantier. Compte-tenu de la mauvaise conjoncture de l’année 2015 (baisse de 3% de l’activité et licenciement de 42 000 salariés, d’après la Fédération Française du Bâtiment), on peut supposer que l’entreprise maître d’œuvre ait d’abord l’objectif de maintenir son personnel, réduisant d’autant l’embauche d’actifs locaux. Rien n’empêche non plus l’entreprise de contractualiser avec des agences d’intérim étrangères ou des filiales d’Europe de l’Est par exemple, pour faire venir des travailleurs déplacés.

Lors de la construction du centre commercial l’Îlo à Epinay-sur-Seine (Immochan, ouvert en 2013), une entreprise de Plaine Commune a bénéficié d’un marché de terrassement, quelques dizaines de travailleurs locaux ont été embauchés et 5% des heures travaillées ont été assurées par des actifs du territoire en insertion.

Comment dans ces conditions peut-on faire miroiter auprès des entreprises du territoire des marchés de sous-traitance substantiels, des nombres d’emplois multipliés par 3 ou 4 pour susciter de faux espoirs chez les chômeurs du territoire ?

 Un leurre

Comment se fait-il que le groupe Auchan, qui affiche son engagement dans une démarche de Responsabilité Sociale d’ Entreprise (RSE) puisse leurrer ainsi les entreprises et les habitants locaux, en prétendant représenter une chance ultime pour un territoire durement frappé par la pauvreté et le chômage ?